La fracture numérique accentue les inégalités de nos concitoyens
Rédigé le 15 avril 2024
Une enquête menée par Pierre MARCHAND, militant FO de la Section nationale des Retraités
La mise en place de l’informatique dans notre pays, même si cela fait partie du progrès de la société, pose de nombreux problèmes pour les personnes âgées. J’ai enquêté sur mon département, la Corrèze, pour analyser les effets négatifs et positifs de la généralisation de l’informatique dans un département où la moyenne d’âge est élevée.
Certes, nous ne pouvons que nous rendre à l’évidence : l’outil informatique présente un progrès et est devenu indispensable pour la grande majorité de nos concitoyens, que ce soit au sein des entreprises, dans les administrations ou chez les particuliers. Nous vivons une révolution sociétale avec internet et l’informatique. Cependant, ce n’est pas sans bouleverser les habitudes, y compris culturelles, de chacun et à fortiori les personnes âgées.
Le mot d'ordre aujourd'hui : « Tout sur le numérique ! »
Pour les uns, c’est une solution de facilité, pour les autres, c’est surtout un problème d’adaptation et de compréhension, aussi de moyens pour accéder à un équipement relativement onéreux pour des retraités avec de faibles pensions. Aussi une raison économique nationale. Dans les administrations, suppression du support papier, tout est dématérialisé, ce qui a pour conséquences d’une part, de transférer l’imprimerie de documents à la charge du réceptionnaire (papier et encre) faisant réaliser des économies à l’expéditeur, ensuite, la suppression du personnel aux différents guichets des administrations qui ferment les uns après les autres. Pourtant, la France était exemplaire dans le maillage de ses services publics. Notre pays pouvait s’honorer de pouvoir offrir un service efficace y compris dans les villages les plus isolés. Que ce soit l’école, la poste, les soins médicaux, le transport. Le facteur passait partout en toute saison et offrait, à l’époque, une présence réconfortante aux personnes âgées seules et isolées. Aujourd’hui, presque plus rien de tout cela, le courrier se fait de plus en plus par internet donc raréfaction des lettres par courrier postal. Les services publics disparaissent les uns après les autres au nom de la rentabilité et de la communication numérique. Cela crée un véritable fossé qui se creuse de plus en plus entre les générations. Les enfants naissent avec l’ordinateur et cela bien entendu touche les plus vulnérables de notre société, c'est-à-dire les personnes âgées, plus communément appelées pompeusement « les seniors ». Lesquels ne se familiarisent pas forcément aux nouvelles technologies pour diverses raisons (impossibilité de se procurer le matériel nécessaire faute de moyens financiers, de moyens d’information et de formation).
La Corrèze est relativement petite en densité de population (239.000 habitants avec 41 habitants/km2). 36 % de la population est dans une tranche d’âge élevée soit entre 60 et plus de 75 ans, dont 18 % de veuves souvent isolées dans des villages en moyenne montagne. 13,8 % de personnes sont sous le seuil de pauvreté et le chômage s’élève à 6,1 %, avec 36 % de retraités.
Aujourd’hui, il y a sept zones blanches. 24.949 habitants du département sont raccordés à la fibre optique, 97 % possèdent l’ADSL, un raccordement numérique et la 4G. Le Conseil départemental estimait être à 100 % couvert par la fibre en 2021 ? Quel bel espoir, mais cela résout-il le problème des séniors qui sont isolés, éloignés des centres de services publics, n’ayant aucun moyen pour s’y rendre et pire, ne possédant pas l’outil informatique, ne comprenant rien au langage de cet outil et encore moins de savoir s’en servir ? Beaucoup sont réfractaires à ce modernisme, c’est tout juste s’ils arrivent à maîtriser le téléphone lorsqu’ils sont en relation avec une administration et souvent baissent les bras à force d’être "baladés" d’interlocuteurs en interlocuteurs. Cette catégorie de population a été élevée et habituée à être en relation physique avec un agent pour s’expliquer, à recevoir du courrier postal papier. Il est donc scandaleux de supprimer brutalement ces services au bénéfice exclusif de l’informatique.
Certes, on nous dit sans cesse que ces séniors ne sont pas oubliés, on met à leur disposition des points de formation, à la Poste notamment - encore faut-il qu’il en reste une - et comment s’y rendre ?
Même chose pour les banques et pire, souvent, ces services sont payants !
Que fait-on pour cette catégorie de la population qui représente quand même 86.040 personnes ? Ce qui est loin d’être négligeable...
Le retour papier s’avère indispensable, la réouverture de points postaux ou au moins d'annexes regroupées d’administrations semblent indispensables dans les villages reculés, et au moins la mise en en place de transports adaptés pour véhiculer les personnes handicapées ou à mobilité réduite, ou encore les personnes dépourvues de véhicule ou dans l’impossibilité de conduire.
Notre devoir à FO, c’est tout faire pour ne pas créer de fracture entre les générations. Nous devons lutter pour que notre devise républicaine soit plus d’actualité que jamais. La Fraternité, facteur d’Egalité, doit être nôtre pour ne pas oublier ceux qui nous ont devancés, et tout faire pour les honorer.
Article issu de La Tribune n° 398