Les agents publics poursuivis devant la Cour des comptes n’ont pas droit à la protection fonctionnelle


Le Conseil d’État vient rejeter les recours déposés contre une note d’avril 2024 par laquelle la secrétaire générale du gouvernement, Claire Landais, avait demandé aux ministères de refuser les demandes d’octroi de la protection fonctionnelle présentées par les agents publics poursuivis devant la Cour des comptes au titre du nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics.

La protection fonctionnelle peut-elle être accordée à un agent public poursuivi devant la Cour des comptes au titre de la responsabilité financière des gestionnaires publics ? Non, vient de répondre le Conseil d’État dans une décision du 29 janvier. Une décision importante tant la question de l'octroi ou non de cette protection fonctionnelle était débattue depuis la mise en œuvre, en 2023, de la réforme de ce régime responsabilité, dont les textes ne disaient rien au sujet de la protection fonctionnelle. 

Le débat est surtout né des diverses procédures engagées devant la nouvelle chambre du contentieux de la Cour des comptes et mettant en cause des fonctionnaires. Un contexte dans lequel plusieurs agents publics poursuivis ont sollicité leurs administrations pour obtenir cette protection fonctionnelle, qui peut revêtir plusieurs formes : des actions de soutien et de prévention (soutien psychologique, prise en charge médicale), une assistance juridique et judiciaire, avec notamment la prise en charge des frais de justice et le règlement des frais d’avocat, mais aussi une réparation des préjudices éventuellement subis par les agents… 

“Faire prendre en charge, au nom de la protection fonctionnelle, sur des fonds publics, les frais de la défense d'un responsable mis en cause pour un mésusage des deniers publics ne relève pas de la parfaite évidence”, pointait néanmoins récemment dans nos colonnes Louis Gautier avant de quitter ses fonctions de procureur général près la Cour des comptes.

Une règle fixée par le SGG 

Depuis la mise en œuvre de la réforme du régime de responsabilité financière des gestionnaires publics, tous les ministères n'étaient pas alignés sur cette question de la protection fonctionnelle, certains l'accordant à leurs agents poursuivis devant la Rue Cambon, d'autres la leur refusant. La question a finalement été tranchée au niveau interministériel par la secrétaire générale du gouvernement (SGG), Claire Landais, en avril 2024.  

Dans une note adressée aux secrétaires généraux des ministères et aux directions des affaires juridiques, la haute fonctionnaire avait répondu par la négative en indiquant qu'une demande d'octroi de la protection fonctionnelle présentée par un fonctionnaire attrait devant la Cour des comptes “doit être légalement refusée au motif que ce cas de figure n'est pas prévu par les dispositions légales en vigueur ni couvert par le principe général du droit reconnu par le Conseil d'État”. Et ce “sans même avoir à s'interroger sur l'existence ou non d'une faute personnelle de l'agent mis en cause”, ajoutait Claire Landais dans sa note, que le Conseil d'État valide aujourd'hui. 

Deux requêtes en annulation 

Deux requérants avaient demandé au Palais-Royal l'annulation “pour excès de pouvoir” de cette note du SGG qui, selon eux, aurait méconnu le “principe général du droit” à la protection fonctionnelle. Première requérante, l'ancienne directrice générale adjointe d'AgroParisTech, condamnée en décembre dernier par la chambre du contentieux de la Cour des comptes à 5 000 euros d'amende à propos des conditions de vente, à des prix bradés, du mobilier historique entreposé au château de Grignon, l'un des sites de l'institut. 

Sur autorisation du conseil d'administration d'AgroParisTech, son directeur général lui avait ainsi accordé la protection fonctionnelle et une convention d'honoraires avait été conclue avec un cabinet d'avocats pour l'assister dans le cadre des poursuites en question. Deuxième requérant dans cette affaire, ce cabinet estimait toutefois que la note du SGG aurait une incidence sur son chiffre d'affaires en mettant fin à la solvabilisation des frais d'avocat des personnes poursuivies devant la Cour des comptes.  

Pour rejeter leur demande d'annulation de la note du SGG, le Conseil d'État se réfère, dans sa décision, à l'article L.134-1 du code général de la fonction publique (CGFP) relatif à la protection fonctionnelle des agents publics. Selon cet article, la “collectivité publique” doit accorder une protection à ses agents “qui font l'objet de poursuites pénales à raisons de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle détachable de l'exercice de leurs fonctions”. 

Des sanctions sans caractère pénal 

Les amendes pouvant être infligées par la Cour des comptes dans le cadre du nouveau régime de responsabilité financière des gestionnaires publics n'ont pas “le caractère d'une sanction pénale”, explique néanmoins le Palais-Royal. Aussi, poursuit-il, la protection fonctionnelle ne saurait être accordée à un agent faisant l'objet de poursuites devant la chambre du contentieux de la Rue Cambon. Aux yeux du Conseil d'État, la note du SGG attaquée ne méconnaissait pas “la portée et le champ d'application” de l'article L.134-1 du CGFP relatif à la protection fonctionnelle des agents publics. 

Par ailleurs, indiquent les juges, lorsqu'un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions, il incombe aussi à son administration “de le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui” et de prendre en charge l'ensemble des frais de cette instance. Certes, il est “toujours loisible” à l'administration d'apporter “un soutien” à ses agents publics mis en cause devant la Cour des comptes, “notamment par un appui juridique, technique ou humain”. À ce propos, la note du SGG précisait que, “dans les cas où la défense de l'agent mis en cause rejoint l'intérêt du service lui-même, (…) il apparaît très opportun que l'administration mobilise des ressources internes pour lui prêter assistance (conseil juridique, fourniture d'informations, recherche dans les archives papier ou numérique, préparation aux auditions…) et organise à ce titre avec les agents mis en cause des points réguliers”.

Ce principe, toutefois, “n'impose pas à la collectivité publique de lui accorder une protection”, estime le Conseil d’État. Et de conclure que les requérants n'étaient pas fondés à soutenir que la SGG “aurait méconnu le principe général du droit à la protection fonctionnelle en estimant qu'un agent poursuivi devant la chambre du contentieux de la Cour des comptes n'était pas fondé à s'en prévaloir”. D'où le rejet de leur recours contre cette note du SGG. 

4 février 2025
Bastien Scordia
pour ACTEURS PUBLICS