Comment gérer les documents administratifs se rapportant aux agents publics


Chaque mois, la Commission d'accès aux documents administratifs décrypte pour "La Gazette" les obligations auxquelles sont soumises les collectivités en matière d'accessibilité de leurs documents administratifs. Ce mois-ci, plein phare sur la gestion des documents administratifs se rapportant aux agents publics :

La gestion de leurs agents, quel qu’en soit le statut (fonctionnaires, militaires ou agents contractuels), conduit les autorités soumises au titre Ier du livre III du code des relations entre le public et l’administration à produire et détenir une grande variété de documents administratifs et médicaux.

Les documents se rapportant aux agents comportent souvent des mentions intéressant la vie privée des intéressés, portant une appréciation ou un jugement de valeur sur des personnes physiques, voire dans certains cas, révélant le comportement de personnes dans des conditions susceptibles de leur porter préjudice. Or ces mentions sont protégées par l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA).

Le régime de communication de ces documents varie essentiellement selon leur contenu, et selon que la demande est présentée par l’agent lui-même ou par un tiers.

La communication à l’agent lui-même

Un agent dispose de la qualité de personne intéressée, au sens de l’article L. 311-6 du CRPA, pour obtenir la communication de tous les documents le concernant, produits ou reçus par l’administration.

C’est le cas notamment de son dossier individuel, qui lui est intégralement communicable (avis n°20171666), seuls les fondements juridiques varient en fonction de la situation de l’agent :

  • En cas de procédure disciplinaire diligentée à l’encontre d’un agent, l’accès à son dossier individuel est régi par des dispositions spéciales prévues par la loi du 22 avril 1905 (article 65) ou par les différentes lois statutaires, que la CADA n’est pas compétente pour interpréter. Le régime d’accès est prévu par ses textes spéciaux

  • Dans une situation où aucune procédure disciplinaire n’est en cours ou après l’achèvement de celle-ci, l’accès au dossier de l’agent se fait sur le fondement du livre III du CRPA (avis n°20216569).

Il convient également de noter que lorsqu’un agent fait l’objet d’une lettre de dénonciation ou de signalement émanant d’une personne privée, il est alors considéré comme un tiers à l’égard de ce document, et non comme l’« intéressé ». En effet, dans cette hypothèse, l’« intéressé », au sens de l’article L. 311-6 précité, est l’auteur de la lettre, dans la mesure où ce document révèle de sa part un comportement dont la divulgation serait susceptible de lui nuire (avis n° 20103543).

Si un document contient des informations sur plusieurs agents, touchant à leur vie privée ou reflétant une appréciation portée sur eux, il peut être communiqué à chacun d’eux après occultation des mentions relatives à ses collègues, sauf si ces occultations dénaturent complètement le document, faisant perdre tout intérêt à sa communication.

La communication aux tiers

A titre liminaire, il convient de rappeler que la CADA n’est pas habilitée à se prononcer sur les droits particuliers des élus, des représentants du personnel ou des syndicats, qui relèvent de textes spécifiques, n’entrant pas dans son champ de compétence. Toutefois, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que ces catégories de personnes puissent se prévaloir du droit d’accès prévu au livre III du CRPA qui est ouvert à toute personne.

L’accès des tiers est possible lorsque les documents ne font état que de la situation statutaire et objective de l’agent, en dehors de toute considération liée à sa personne ou à sa manière de servir. Dans les faits, cet accès se trouve souvent limité par la nécessité de soustraire à leur connaissance les éléments de vie privée et d’appréciation le concernant.

Le régime de communication des arrêtés individuels se rapportant aux agents n’est cependant pas le même selon l’administration qui en est l’auteur.

Le titre 1er du Livre III du CRPA ne s’applique en effet que pour les arrêtés émanant d’un service de l’Etat. Ces arrêtés sont communicables aux tiers, après occultation des mentions protégées par les articles L. 311-5 et L. 311-6 du CRPA.

Si en revanche, l’arrêté émane d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public territorial ou de coopération intercommunale, c’est alors le code général des collectivités territoriales qui s’applique : l’article L. 2121-26 pour les communes, L. 5211-46 pour les EPCI et L. 5721-6 pour les syndicats mixtes. Dans ce cas, les motifs légaux susceptibles de justifier un refus de communication prévus par le CRPA ne sont pas opposables.

La décision « Commune de Sète » du Conseil d’État du 10 mars 2010 n° 303814 apporte néanmoins un tempérament au droit d’accès en retenant que les dispositions du CGCT ne sauraient ainsi être interprétées, eu égard à leur objectif d’information du public sur la gestion municipale, comme prescrivant la communication des arrêtés portant des appréciations d’ordre individuel sur les agents territoriaux.

S’agissant des arrêtés nominatifs, si l’occultation des mentions nominatives ne permet pas de garantir l’anonymat de la personne concernée, la CADA estime qu’il est alors possible de maintenir ces mentions en occultant l’ensemble des appréciations d’ordre individuel (par exemple, le montant des primes variables allouées et le montant total de sa rémunération, qui permet de déduire la première information)

Dans le prolongement de cette jurisprudence, la commission a estimé, notamment, que les objectifs de transparence de la vie locale ne justifiaient pas qu’il soit dérogé au secret de la vie privée (conseil n° 20121509 et conseil n° 20123242).

La notion de vie privée pour un agent public

La CADA considère traditionnellement que si la vie privée des fonctionnaires et agents publics doit bénéficier de la même protection que celle des autres citoyens, les fonctions et le statut de ces personnels justifient que certaines informations les concernant puissent être communiquées sur le fondement du livre III du code des relations entre le public et l’administration, ou si elles figurent dans un arrêté individuel d’une collectivité territoriale ou d’un EPCI, sur le fondement des dispositions du CGCT. Il en est ainsi, notamment, de la qualité d’agent public, du grade et de l’échelon, de l’adresse administrative et, s’agissant de la rémunération, des composantes fixes de celle-ci : indice de traitement, nouvelle bonification indiciaire (NBI), indemnités de sujétion.

A l’inverse, elle estime que ces éléments doivent être limités à ce qui est strictement nécessaire à l’information légitime des citoyens. Ainsi, ne sont pas communicables sur ce fondement, la date de naissance, l’adresse privée, la situation de famille, les éléments individualisés de la rémunération liés soit à la situation familiale et personnelle de l’agent en cause soit à l’appréciation ou au jugement de valeur porté sur sa manière de servir (notamment les primes de rendement, les primes pour travaux supplémentaires ou le montant total des rémunérations si la communication de ce montant permet de déduire celui des primes liées à la manière de servir).

La communication des bulletins de paie des agents publics

Le bulletin de paie d’un agent public est un document administratif librement communicable à toute personne qui en fait la demande en application de l’article L311-1 du code des relations entre le public et l’administration, sous réserve que soient occultées, préalablement à la communication, les mentions qui porteraient atteinte à la protection de la vie privée ou comporteraient une appréciation ou un jugement sur la valeur de l’agent public en cause.

Outre les mentions rappelées ci-dessus, qui ne sont pas jugées nécessaires à l’information légitime des citoyens, la CADA a précisé que doivent notamment faire l’objet d’une occultation en application du 1° de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration :

  • le montant de l’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise (IFSE) d’un agent, qui n’est pas communicable à un tiers (conseil n°20164749) ;

  • le montant de la cotisation mutuelle et de l’indemnisation des jours placés sur un compte épargne temps, qui relèvent d’un choix personnel de l’agent et sont sans lien direct avec l’exercice de ses fonctions (conseil n° 20210741) ;

  • la mention du taux d’imposition présent sur le bulletin de paye des agents publics depuis l’entrée en vigueur du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu ainsi que les mentions qui ne sont que la conséquence arithmétique de l’application de ce taux, du montant qui aurait été versé au salarié en l’absence de retenue à la source, du montant de l’impôt prélevé et du montant net à payer (conseils n° 20192281 et 20192489).

A l’inverse, la prime d’intéressement à la performance collective des services, si elle constitue une part variable de la rémunération, n’est pas liée à la manière individuelle de servir des agents en cause dès lors qu’elle est attribuée à un service et à l’ensemble des agents qui le composent. Le montant de cette prime est donc communicable à toute personne qui en fait la demande en application des dispositions de l’article L311-1 du code des relations entre le public et l’administration sans qu’y fassent obstacle les dispositions du 2° de l’article L311-6 du même code (avis n°20210741).

Le temps de travail des agents publics

Le Conseil d’État a jugé que les mentions relatives aux heures supplémentaires et par suite à la rémunération nette d’agents publics sont susceptibles de révéler une appréciation sur la manière de servir des intéressés et doivent à ce titre être occultées (CE 4 nov. 2020, req. n° 427401, Lebon T.).

Dans le prolongement de cette jurisprudence, la CADA a précisé que le temps de travail réglementaire, c’est-à-dire celui que l’agent doit théoriquement effectuer pour s’acquitter de ses obligations indépendamment des heures effectivement réalisées, de même que la quotité de travail, ne relève pas par eux-mêmes de la vie privée des agents concernés. Il en est de même du point de savoir si l’agent occupe un emploi à temps complet ou incomplet et la quotité correspondante, qui constituent des caractéristiques objectives du poste, et de la situation de temps partiel, alors même qu’elle procèderait d’un choix de la part de l’agent, dès lors que cette seule information ne révèle par elle-même aucune information mettant en cause la protection de la vie privée due à l’agent eu égard à la diversité des motifs autorisant cette situation. Seuls les horaires de travail des agents publics et le motif invoqué par l’agent à l’appui d’une demande de temps partiel demeurent ainsi protégés par la protection de sa vie privée (conseil n° 20210746).

17 mars 2022