Polices municipales : les deux écoles

La première réunion de travail tenue ce 16 mai dans le cadre du Beauvau des polices municipales n’aura pas permis de trouver un consensus entre partisans d’une extension la plus large possible des prérogatives des policiers municipaux et contempteurs de ce mouvement d’"OPJisation". L’on semble s’acheminer en conséquence vers une solution "à la carte", qui ne satisfait pas les tenants du plat unique.

Le Beauvau des polices municipales s’était ouvert en avril, place Vendôme, par des divergences (v. notre article du 5 avril). On les a sans surprise retrouvées lors de sa première séance de travail, qui s’est tenue ce 16 mai sous la forme d’une dizaine de tables rondes réunissant élus, policiers municipaux, gardes champêtres, représentants des ministères, etc., invités à plancher sur l’un des deux sujets retenus : les missions des polices municipales, d’une part ; l’agent, d’autre part. Avec pour les aider dans cette tâche un fonctionnaire pour animer les discussions, et un fascicule présentant diverses pistes de réforme. Une rencontre "à plat", a souligné Dominique Faure, insistant sur sa volonté d’une discussion ouverte où tout le monde peut s’exprimer. La seule ministre à avoir cette fois participé aux travaux, ses collègues étant réunis quelques mètres plus loin seulement pour une cellule interministérielle de crise néo-calédonienne.

Extension des compétences limitée ou la plus large possible ?

Les comptes-rendus de ces discussions immédiatement dressés l’ont une nouvelle fois démontré, deux écoles continuent de se faire face. 

D’un côté, une école "maximaliste", qui entend voir les prérogatives des polices municipales s’élargir grandement et ce, quand bien même cela devrait conduire les agents, et même les élus, à être placés "sous le contrôle du parquet". "C’est déjà ce qu’on fait avec la transaction pénale", relativise le maire de Châteauroux Gil Avérous (président de Villes de France), favorable à ce que les polices municipales puissent bénéficier de pouvoirs d’enquêtes renforcés, "notamment sur les dépôts sauvages ou les destructions de propriétés publiques", être dotées de drones ou de caméras embarquées, "avoir l’accès au maximum de fichiers possible" ou encore "à tout le panel des amendes forfaitaires délictuelles" (v. notre article du 28 septembre 2020), lequel devrait lui-même être par ailleurs élargi. Une "OPJisation" des polices municipales également défendue par Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières, qui souligne à son tour que "tous les samedis" les élus célèbrent des mariages sous l’autorité du procureur, ou par Alexandre Vincendet, député du Rhône, qui, dans la droite ligne de son rapport (v. notre article du 21 juillet 2023), ne voit lui aussi "pas de problème au contrôle du ministère de la Justice, c’est légitime", pour peu que cela permette de "faciliter la vie de tout le monde" et de résorber le "sentiment d’impuissance" qu’éprouveraient aujourd’hui policiers, élus et citoyens. "On bricole beaucoup sur le terrain […]. Il faut nettoyer tout cela", clame-t-il.

De l’autre, une école plus "minimaliste" ou "conservatrice", incarnée notamment par la maire de Chilly-Mazarin, Rafika Rezgui, qui plaide pour que "la police municipale reste la police du maire". Sur la même ligne, Nicolas Nordman, adjoint à la maire de Paris chargé de la prévention, de la sécurité et de la police municipale, avoue ainsi préférer au contrôle du procureur "l’élargissement des compétences des maires pour contourner l’obstacle constitutionnel" (v. notre article du 21 mai 2021) et que les policiers restent ainsi sous l’autorité de ces derniers. 

Les deux élus insistent également pour que les polices municipales ne deviennent pas une "police supplétive de la police nationale", même si Rafika Rezgui concède qu’elles "l’ont un peu été dès l’origine, puisqu’elles se sont développées pour occuper un terrain" que les forces de l’ordre avaient déserté. C’est précisément par souci "de ne pas éloigner ces forces du terrain", parce qu’elle "tient au volet dissuasion", que l’élue se montre également rétive à "tout ce qui les ferait rentrer dans le champ procédural". "Le spectre d’interventions est déjà très large. L’élargir encore, c’est moins de terrain", juge Christine Donadio, de la FSU territoriale. "L’objectif, c’est de se concentrer sur la tranquillité et la salubrité – on dresse déjà un million de procès-verbaux par an –, pas d’aller plus loin", lui fait écho Michel Felkay, directeur de la police municipale parisienne. "Pas d’actes d’enquête, pas de maintien de l’ordre", fixe encore comme lignes rouges Nathalie Koenders, première adjointe au maire de Dijon et pilote du groupe de travail Polices municipales au sein de France urbaine (v. notre article du 27 mars 2023). 

Pour "ne pas renvoyer les policiers municipaux dans les bureaux", Nicolas Nordman propose d’explorer une autre voie, à rebours de "l’OPJisation", qui consisterait à "contraventionnaliser certains délits, comme la vente à la sauvette, pour éviter la judiciarisation". Une option retenue pour lutter contre l’affichage sauvage, comme le met en avant le site de sa ville : "L’arsenal a été renouvelé récemment : il y a un volet pénal avec des amendes essentiellement de 3e classe à 68 euros, mais il y a aussi désormais des amendes administratives de 1.500 euros par affiche ! Cela peut aller vite et c’est dissuasif : 10 affiches = 15.000 euros d’amende, 30 affiches = 45.000 euros…".

À la carte ou plat unique ?

A cette différence de vision sur l’étendue des missions des polices municipales s’ajoute une autre ligne de partage, classique : entre les tenants jacobins de l’uniformité, d’une part, et les partisans girondins de la diversité, d’autre part. Une ligne qui pour tout arranger ne recoupe pas nécessairement la précédente… Ainsi, Rafika Rezgui juge légitime que le périmètre d’intervention de la police municipale réponde à la vision du maire, rejoignant ici Gilles Avérous, pour qui "il faut faire confiance aux maires, et les laisser choisir parmi un panel de compétences, et non réfléchir à une police municipale unique sur tous les territoires". Ou Alexandre Vincendet, "attaché à la libre administration des collectivités", et pour qui "il faut laisser aux maires la possibilité de se saisir, ou non, de ces nouveaux outils". 

À l’inverse, Nicolas Nordman se dit lui favorable à "l’harmonisation des prérogatives, pour éviter la concurrence entre polices municipales". "Avec le port d’arme et le régime indemnitaire, on y est déjà", déplore-t-il. Et de relever que sous la pression de l’opposition, des citoyens, l’harmonisation se fait in fine, par défaut, sur le plus disant. À l’harmonisation subie, il préférerait donc une harmonisation choisie, qui semble néanmoins mal embarquée. Concluant les travaux, Dominique Faure a en effet retenu l’idée de la "boite à outils" et affirmé que "le choix appartiendra au maire, en lui donnant les moyens de pouvoir aller là où il veut aller". Pour les participants au Beauvau, ce sera à court terme à La Grande-Motte, où se tiendra la prochaine réunion ce 27 mai.

17 mai 2024
Frédéric Fortin 
pour LOCALTIS