Dans un "retour d'expérience" sur la gestion de la crise sanitaire par les forces de sécurité et la sécurité civile, l'IGA revient sur les moyens considérables déployés à cette occasion. Elle constate que les maires ont été plus ou moins disposés à coopérer avec l'État et en vient à une proposition radicale : "permettre aux préfets, en cas d’état d’urgence sanitaire, de placer les polices municipales sous leur autorité fonctionnelle".
S'il a beaucoup été question du couple "maire-préfet" pendant la crise sanitaire, un rapport de l'Inspection générale de l'administration (IGA) ternit un peu l'image de cette idylle parfaite. "Dans l’ensemble, les maires ont mis leurs polices municipales à disposition de l’État, celles-ci participant le plus souvent à des patrouilles communes avec la police nationale", peut-on lire dans ce "Retour d'expérience de l'emploi des forces de sécurité intérieure et des personnels de sécurité civile pendant la crise sanitaire" mené avec le concours d'autres inspections et publié le 5 juin. L'IGA se penche notamment sur le département des Alpes-Maritimes qui affiche toutes les "couleurs de l'éventail" des réactions des maires, avec tout d'abord un Christian Estrosi, maire de Nice, à la tête de la plus importante police municipale de France, qui s'est montré particulièrement zélé, allant jusqu'à durcir par de nombreux arrêtés les mesures gouvernementales déjà particulièrement strictes. Dans la plupart des autres villes du département, les maires se sont contentés de mettre en avant le partenariat avec la police nationale pour faire appliquer au mieux ces mesures. À Cannes, le maire LR David Lisnard – également président de l'Association des maires de France, rappelle l'inspection – "a refusé que sa police municipale participe à quoi que ce soit, adoptant une posture purement politique". Le rapport cite aussi le cas de Bordeaux où la police du maire écologiste, Pierre Hurmic, a "joué le jeu", effectuant des contrôles, y compris en patrouille mixte, mais “verbalisant peu” et, ce, dans le cadre d'horaires peu étendus (pas après 18h ni en week-end). La police bordelaise n'a effectué aucun contrôle du pass sanitaire, est-il précisé… D'ailleurs la réticence des maires à contrôler le pass sanitaire a été "presque générale", "sans doute pour des raisons politiques". "
Voilà qui la conduit l'IGA à proposer une mesure radicale, parmi onze propositions : "engager une étude juridique et d’opportunité en vue de permettre aux préfets, en cas d’état d’urgence sanitaire, de placer les polices municipales sous leur autorité fonctionnelle.“ ”Ni le principe ni les modalités d’intervention ne peuvent être laissée à la libre appréciation des maires dans des situations de crise exceptionnelle", justifie-t-elle.
De manière générale, les préfets ont "exercé pleinement leur rôle de gestionnaires de crise" mais ont pu rencontrer quelques difficultés avec les ARS dont les centres de décisions sont situés au niveau régional. Il en est résulté de "grandes complexités", notamment pour ce qui est de la création des centres de vaccination. La mission préconise ainsi de "renforcer le rôle du ministère de l’Intérieur comme 'ministère des crises'" et qu'il se dote "de tous les moyens organisationnels, matériels et humains pour s'imposer comme tel".
Moyens considérables
Le rapport détaille les moyens considérables déployés par les forces de l'ordre et la sécurité civile pendant cette crise. Il rappelle que 22 nouvelles contraventions ont été intégrées sur les terminaux des policiers et gendarmes entre mars et août 2020. Que les policiers ont contrôlé plus de 13,2 millions de personnes et plus de 462.000 établissements recevant du public entre mars 2020 et février 2022. Que les gendarmes ont conduit 17 millions d'opérations en lien avec le Covid, soit 40% de leur activité totale… De leur côté, les services d'incendie et de secours ont réalisé 23,5 millions d’injections vaccinales de novembre 2020 à juin 2022, soit 16,3 % du total, et géré 244 centres de vaccination, sans parler du million de tests auxquels ils ont procédé…
La mission constate une dégradation du lien entre la population et la police, même si "la crise sanitaire n’a pas donné lieu à des troubles majeurs de l’ordre public, à l’exception notable des Antilles". Un chapitre entier est d'ailleurs consacré à la situation outre-mer. Toutefois, la période "a vu la montée d’une contestation soutenue contre le pass sanitaire, puis vaccinal, qui a donné lieu à des mobilisations importantes". En dépit d'un "engagement réel", les forces de sécurité ont parfois manifesté un “sentiment de lassitude” face à ce travail ingrat, "une incompréhension croissante face à la succession des mesures de restriction de circulation, la multiplication des contrôles, qu’ils ont parfois mal vécus", est-il relevé. Mais "les colères des policiers et des gendarmes ne se sont pas déportées contre les personnes qui ne respectaient pas les règles mais contre leur hiérarchie et le personnel politique en général". D'ailleurs le rapport n'épargne pas les décideurs. Il fait remonter du terrain le sentiment d'une "extrême verticalité des prises de décision", le "caractère brusque, tatillon, spasmodique de celles-ci", une "absence de prévisibilité, voire de cohérence". "Une prolifération de textes juridiques réglementant les activités les plus originales avec un grand luxe de détails (par exemple les lieux de vente de plantes) pris sur la base de l’état d’urgence sanitaire a souvent rendu très difficile la tâche de ceux en charge des contrôles", pointe-t-il.
Effets des confinements sur la délinquance
La mission met aussi en évidence l'évolution de la délinquance pendant la crise, avec un effet indirect : une "ubérisation" du trafic de stupéfiants favorisé par les confinements successifs. Autre effet du confinement : une baisse générale de la délinquance en 2020 (avant un rebond en 2021), mais avec une hausse de 10% des victimes de violences intrafamiliales entre mars et avril 2020.
source LOCALTIS