Ah, les vacances, leurs belles destinations, leurs activités et dépenses « plaisir »… Mais on est loin de la réalité vécue par beaucoup de familles. Et cet été 2023 particulièrement. L’inflation forte est passée par là, et sans hausse substantielle des salaires. Sans parler des incertitudes sur l’emploi ou encore des réformes qui portent les ménages à la prudence, et donc, pour ceux qui le peuvent, à se constituer une modeste épargne de secours. Depuis des mois, la consommation est en berne et nombre de travailleurs peinent même à assurer leurs dépenses contraintes. Le « moteur » de la croissance est grippé. Or c’est sur lui que l’exécutif compte pour faire vrombir le produit intérieur brut, la production nationale de richesses. Néanmoins, pour des motifs exclusivement comptables, il maintient son axe ultra-libéral au risque, au final, de freiner encore plus la croissance. Un axe fait d’une surdité salariale, de réformes qui diminuent les droits et impactent les revenus, d’une réduction des dépenses publiques tandis que les aides publiques aux entreprises, elles, ne sont toujours en rien conditionnées. Cet océan d’attaques et de paradoxes ne favorise en rien la consommation, désormais régulièrement attirée vers les profondeurs.

Façon Molière, on pourrait interroger : Mais pourquoi diable ne consomment-ils pas plus ?! C’est parce qu’ils sont prudents et qu’ils n’en n’ont pas vraiment les moyens ! Fin 2022, la consommation des ménages a baissé de 1 %. Elle atteint péniblement 0,1 % au premier trimestre 2023 et serait en recul de 0,2 % sur l’année, selon l’Insee. Dans le détail, la consommation de produits manufacturés reculerait de 3,5 %, dont une baisse de 8,9 % pour les produits agroalimentaires, ou encore de 2,1 % pour les biens d’équipement. Au deuxième trimestre 2023, la consommation des ménages serait en légère baisse (- 0,3 %). L’inflation continuerait en effet de peser sur les achats de produits alimentaires, qui se replieraient pour le sixième trimestre consécutif et tireraient à la baisse la consommation de biens dans son ensemble, analyse l’Insee, notant le recul depuis un an de l’investissement des ménages, et qui perdurerait. Le recul sur le logement, par la hausse des taux d’emprunt conjuguée à la frilosité des banques, serait de 6,7 % sur 2023. C’est cependant sur la consommation des ménages, moteur de la croissance, que l’exécutif compte pour booster l’économie, produire des richesses et ramener le chômage à 4,5 % en 2027. Mais les travailleurs sont à la peine. D’autant plus face à une inflation certes retombée à 4,5 % sur un an en juin, mais qui depuis plus d’un an pulvérise des scores. Ainsi, plus de 6 % cet hiver avec la hausse des prix des énergies, des biens manufacturés ou encore de l’alimentaire, dont l’inflation se situerait encore à 11,8 % en 2023.

Le moral des ménages toujours très bas

Le contexte salarial, lui, est l’absence (depuis 2012) de coup de pouce au Smic et des hausses de salaires globalement limitées à l’inflation. Début 2023, le SMPT (salaire moyen par tête) réel a baissé de 2,2 % sur un an, alors que fin 2023 il ne serait plus que 0,2 % en deçà de son niveau un an plus tôt. En moyenne sur l’année 2023, malgré une progression nominale prévue de + 5,1 %, le SMPT réel serait 1,3 % plus faible qu’en 2022, estime l’Insee. En 2023,  le pouvoir d’achat par unité de consommation se stabiliserait (+ 0,0 %) après une baisse en 2022 (- 0,4 %). Une situation atone, donc. Si elle a très légèrement remonté depuis, en avril dernier les économistes de l’OFCE notaient que la confiance des ménages […] est au plus bas depuis l’été 2022 et se situe à des niveaux historiquement bas. Les entreprises, elles, ont bon moral. Entre autres causes, leur taux de marge est supérieur de 0,7 point à celui de 2018 et elles bénéficient de mesures de soutien budgétaire et fiscal, dont certaines non pérennes, représentant 1,5 point de valeur ajoutée de plus qu’en 2018. Les aides publiques (crédits d’impôts, exonérations, …), et toujours sans conditionnalité, représentent environ 160 milliards par an de manque à gagner pour les comptes publics.

Toujours moins de dépenses publiques

L’exécutif entend cependant poursuivre dans le même axe. Visant à ramener le déficit public à 2,7 % du PIB en 2027, il a conçu un programme conjuguant encore des baisses d’impôts, notamment aux entreprises, et une réduction drastique des dépenses publiques. Ce cocktail paradoxal est censé doper l’activité, élever la croissance du PIB à 1,6 % en 2024 et booster l’emploi. Reste à savoir lesquels... Pour le premier trimestre 2023, la Dares (ministère du Travail) note que l’emploi progresse de 0,2 % mais tiré par les contrats courts. Et de détailler : Les déclarations d’embauche en CDD de moins d’un mois progressent nettement (+ 2,1 % sur le trimestre), alors que les embauches en contrat de plus d’un mois (CDD longs et CDI) reculent (- 0,8 %).

L’exécutif, qui parie dur comme fer sur une croissance à 1 % cette année (contrairement à diverses études économiques qui voient plutôt une croissance autour de 0,6 % à 0,8 %), compte aussi pour les années qui viennent sur les économies induites par les récentes réformes qu’il a imposées. Réformes qui réduisent les droits et impactent les revenus des travailleurs. Il vise 4 milliards d’euros d’économies sur l’Assurance chômage et près de 18 milliards d’ici 2030 concernant les retraites. Il compte aussi, par exemple, sur la fin du bouclier tarifaire sur le gaz, tandis que la suppression cet été aussi des tarifs réglementés sur le gaz risque d’impacter douloureusement les particuliers. Alors que les observateurs soulignent les incertitudes à venir – situation internationale, prix des énergies, remontée des taux… – l’exécutif entend aussi introduire dès 2024 des mesures sévères de réduction des dépenses publiques, 12 milliards d’euros par an au moins. Sont déjà dans le collimateur les remboursements de soins dentaires, les prix des médicaments, les arrêts maladie, les transports de malades en ambulance… Mais ces recettes ultra-libérales connues, zappant la question des salaires et impactant les plus modestes, montrent déjà leurs effets : cette consommation atone qui freine la croissance et qui est l’illustration des difficultés de plus en plus fortes des travailleurs à faire face à la dépense.

L’actionnaire s’enrichit toujours plus, contrairement au travailleur…

L es plus grandes sociétés cotées en Bourse en France ont versé à leurs actionnaires en moyenne 71 % de leurs bénéfices chaque année depuis 2011, selon une analyse réalisée par Oxfam France et le Basic (Bureau d’analyse sociétale d’intérêt collectif). Des dividendes records ont été versés en 2022, en hausse de 15,5 % par rapport à l’année précédente. Peu de travailleurs peuvent se targuer d’avoir reçu une telle augmentation. Alors que la dépense par salarié de ces multinationales n’a augmenté que de 22 % de 2011 à 2021, les versements aux actionnaires ont, eux, bondi de 57 %.

L’analyse souligne même que certaines n’hésitent pas à creuser leur déficit pour satisfaire les actionnaires :  Engie a ainsi accumulé plus de 784 millions d’euros de pertes entre 2011 et 2021, tout en versant 23,6 milliards d’euros de dividendes au cours de cette période. En France, 47 % du patrimoine brut total (contre 41,3 % en 2010) est détenu par les 10 % les plus riches. On comprend aisément qui la rémunération du capital vient enrichir. Les 10 % les plus pauvres, eux, se contentent de… 0,1 % du patrimoine global.

Moins d’impôts pour les uns, moins de pouvoir d’achat pour les autres

En outre, d’après les données de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), les mesures fiscales de 2022 auraient augmenté de 1 200 euros le niveau de vie annuel des 5 % les plus riches, alors que, face à l’inflation, les salariés ont perdu en moyenne 720 euros entre janvier 2021 et juin 2022 (Insee).

Quant à la baisse du taux de chômage (à 7 %), elle ne doit pas masquer les nombreux CDD, contrats d’intérim et d’apprentissage. La précarité du salariat a été multipliée par deux en trente ans. Selon l’Observatoire des inégalités, quelque 8 millions d’actifs seraient ainsi en situation de « mal emploi », incluant les chômeurs, les salariés en contrat précaire et les 2 millions de personnes découragées de recherche faute d’une réelle attractivité de l’emploi.

Le pays compte 4,8 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté (fixé à 50 % du salaire médian, soit actuellement 940 euros par mois), selon l’Insee, soit 7,6 % de la population.

Pas étonnant que les banques enregistrent 4,1 millions de clients en situation de fragilité financière. Et dont la capacité à consommer se réduit à peau de chagrin.

SANDRA DÉRAILLOT
Journaliste à l’InFO militante

Épargne : avec l’inflation, la prudence reste de mise

Avec un pouvoir d’achat qui stagne, la consommation est minée par l’inflation et les prévisions pour 2023 la concernant restent moroses. L’indicateur de confiance des ménages dans la situation économique reste très dégradé, constate l’Insee. Les dépenses reculeraient de 0,2 % en 2023 et l’indicateur concernant le moral des ménages en dit long. S’il a certes pris deux points en juin, il est toujours, avec 85 points, très en deçà de ce qu’il était depuis trente-six ans et jusqu’en décembre 2022.

« Pas opportun de faire des achats importants »

Clairement, l’épargne de précaution reste un refuge. Au premier trimestre 2023, le taux d’épargne des ménages est ainsi de 18,3 % de leur revenu disponible brut, soit bien supérieur à l’avant crise sanitaire, indique la Banque de France. Compte tenu de l’évolution attendue du pouvoir d’achat des ménages, leur taux d’épargne continuerait à baisser au deuxième trimestre puis resterait quasi stable sur le reste de l’année. Il atteindrait ainsi environ 18 % au second semestre, niveau qui reste nettement supérieur à celui de 2019 (15,0 %), souligne de son côté l’Insee. D’autres organismes confirment cette tendance à l’épargne forte qui perdure. Parue en avril, une étude du très libéral Cercle de l’épargne notait que  les ménages restent plus prudents que jamais quand il s’agit d’envisager l’avenir : un nombre croissant d’entre eux n’estime pas opportun de faire des achats importants. Traduction en chiffres : face à l’inflation, 65 % des Français ont réduit leurs dépenses de consommation, mais seuls 27 % ont puisé dans leur épargne l’hiver dernier. Bref, ils se sont serré la ceinture. À noter qu’une étude de l’Insee souligne qu’en 2021, soit pendant la crise du Covid, 20 % des ménages les plus modestes avaient déjà vidé leur épargne, tout aussi modeste, pour subvenir à leurs dépenses courantes… Ce qui traduit l’insuffisance de revenus des ménages modestes pour faire face. Ce qui fait comprendre leur grande prudence actuelle face notamment à une situation exceptionnelle d’inflation depuis plus d’un an.

ARIANE DUPRÉ
Journaliste à l’InFO militante

Partage de la valeur : signé par FO, l’ANI en cours de transposition

Le 29 juin, l’Assemblée nationale a voté en première lecture l’obligation, pour les entreprises ayant 11 à 49 salariés et un bénéfice net fiscal d’au moins 1 % du chiffre d’affaires (pendant trois ans consécutifs), de mettre en place, à partir de 2024, un dispositif de partage de la valeur : participation, intéressement, abondement d’un plan d’épargne salariale ou prime de partage de la valeur. Selon le ministre du Travail, jusqu’à 1,5 million de salariés pourraient être concernés par cette expérimentation de cinq ans. Le palais Bourbon a voté, pour les entreprises d’au moins 50 salariés enregistrant une augmentation exceptionnelle de leur bénéfice net fiscal, l’obligation de négocier une redistribution.

Droit nouveau pour les travailleurs 

Voilà les mesures clés du projet de loi – en cours d’examen parlementaire – sur le « partage de la valeur » au sein des entreprises, lequel transpose l’accord national interprofessionnel (ANI) qu’a signé FO en février, alors que l’inflation explosait. C’est un accord créateur de droits, principalement à destination des plus petites entreprises, avait appuyé le secrétaire général Frédéric Souillot. Pour FO, le salaire reste toutefois la meilleure forme de partage de la valeur.

ELIE HIESSE 
Journaliste à l’InFO militante