Une réforme injuste, injustifiée, d’une totale régression sociale... Voilà quelques-uns des termes peu amènes qu’utilisent les travailleurs pour qualifier le projet gouvernemental sur les retraites contre lequel ils sont massivement mobilisés. 

Chose peu commune, tous les sondages, et ce quelle que soit leur origine, traduisent le large rejet de ce projet. Comment s’en étonner tant celui-ci, contesté, entre autres unanimement par huit organisations syndicales, dont FO, frappe fort et tous azimuts.
Il programme le report, de deux ans, de l’âge légal de départ et prévoit une accélération du calendrier de l’allongement de la durée de cotisation pour une retraite à taux plein.

Il pulvérise les régimes spéciaux et piétine les modalités d’âge de départ en retraite des catégories actives, ce qui revient à s’asseoir sur la question de la pénibilité, laquelle, dans le privé, est renvoyée aux branches. Faisant la part belle au patronat, exonéré une fois de plus de toute contrainte, entre autres sur l’emploi des « seniors », le projet masque aussi la réalité concernant la revalorisation annoncée en grande pompe de la retraite minimum, sans compter qu’il dresse un étrange tableau budgétaire des conséquences de cette réforme infondée.

Explication en cinq points :

Une réforme brutale pour tous

Salariés du privé, fonctionnaires : le recul de deux ans de l’âge légal de départ en retraite frappera tout le monde si la réforme passe. Dès septembre, le gouvernement prévoit de reculer l’âge légal de 62 à 64 ans d’ici 2030. La mesure d’âge sera couplée à une forte accélération de la réforme Touraine. Pour atteindre 43 ans de cotisation à l’horizon 2030, l’âge légal reculera chaque année d’un trimestre par génération, à compter de ceux nés le 1er septembre 1961. Ces salariés proches de la retraite devront travailler trois mois de plus (62 ans et trois mois). À raison d’un trimestre par an, la génération 1964, proche de la soixantaine, ne pourra pas partir avant 63 ans et avec 171 trimestres à valider, soit deux de plus qu’actuellement. Pour ceux nés en 1965 et 1966, ce sera trois trimestres en plus et avec aussi un recul de l’âge de départ, soit à plus de 63 ans. Et en 2030, la réforme touchera de plein de fouet ceux nés en 1968, qui devront travailler au minimum jusqu’à 64 ans. Un recul social inadmissible pour FO : à terme, Tout le monde va se prendre deux ans ferme, résume Michel Beaugas, secrétaire confédéral chargé du dossier des retraites. Il souligne que certains publics en pâtiront particulièrement : les salariés précaires, ceux à temps partiel, (dont les femmes) ou exerçant des emplois pénibles. Et bien sûr les seniors.

Un index seniors hypocrite et cosmétique

Alors que seuls 56,1 % des 55-64 ans étaient en poste en 2021 selon la Dares, les seniors devront paradoxalement travailler deux ans de plus minimum. On verra le nombre de seniors inscrits au chômage ou au RSA augmenter. Les arrêts maladie, voire le risque d’accidents du travail vont croître dans certains métiers, alerte Michel Beaugas. La réforme ne fait rien pour améliorer leur sort. Le projet prévoit la simple création d’un index seniors dans les entreprises à partir de 2023. La non-publication de cet outil donnant lieu à une pénalité de 1 % de la masse salariale. Un gadget pour FO, qui avait demandé lors des concertations des sanctions financières pour les entreprises licenciant des seniors. Pour les salariés encore en poste à 62 ans, le gouvernement prétend revaloriser la retraite progressive. Mais à la marge : si la réforme passe, elle deviendra certes un droit opposable dans le privé pour les salariés souhaitant travailler à temps partiel, en complétant avec une part de pension avant l’âge légal. Le système s’ouvrira aussi à la fonction publique. Mais le dispositif (continuer à cotiser à temps partiel pour la retraite) reste peu avantageux. Et marginal : 12 306 personnes du privé étaient concernées en 2021 selon la CNAV. FO demandait que les retraites progressives se calculent sur la base de cotisations à temps plein pour ne pas pénaliser les salariés. Mais décidément, pas question d’alourdir le coût du travail en augmentant les cotisations, a martelé Élisabeth Borne. Par leur mobilisation, les travailleurs disent ce qu’ils en pensent !

ARIANE DUPRÉ

 

Une pension minimum à 1 200 euros, de la poudre aux yeux pour FO

Un salarié qui a travaillé au Smic toute sa vie aura une pension de près de 1 200 euros par mois, soit 85 % du Smic net, promet le gouvernement dans son dossier de présentation de la réforme des retraites. C’est 100 euros de plus par mois que le minimum de pension actuel. Cette revalorisation fait partie des rares arguments mis en avant par l’exécutif pour tenter de faire passer la pilule du recul de l’âge de départ. La mesure pourrait bénéficier à 200 000 nouveaux retraités chaque année. Elle s’appliquerait aussi aux retraités actuels, soit quelque 1,8 million de personnes.

Mais gare aux effets d’annonce. Michel Beaugas, secrétaire confédéral FO chargé des retraites, parle même de poudre aux yeux. Rares devraient en effet être les retraités à pouvoir bénéficier pleinement de ces 1 200 euros. Il s’agit en effet d’un montant brut susceptible de baisser en fonction de prélèvements sociaux, dont la CSG (taux de 0 à 8,3 % selon les revenus du foyer).

Une mesure inscrite dans la loi depuis 2003

D’autre part, pour percevoir une pension à hauteur de 85 % du Smic (pension de base et complémentaire), il faudrait avoir effectué une carrière complète, c’est-à-dire avoir travaillé actuellement durant 41 ans et 9 mois sans interruption, et dès 2027, durant 43, voire 44 ans pour les carrières longues. En cas de trimestres manquants, la revalorisation serait diminuée au prorata, au minimum de 25 euros par mois. Il faut aussi rappeler que cette idée de fixer un montant minimal à 85 % du Smic n’a rien de nouveau puisqu’elle figure dans la loi depuis la réforme Fillon de 2003, mais n’a jamais été appliquée, souligne Michel Beaugas.

CLARISSE JOSSELIN

 

Les régimes spéciaux dynamités

Élément explosif, la réforme prévoit la fermeture des principaux régimes spéciaux. Hormis certains petits régimes (marins, Opéra de Paris, Comédie-Française), tous les grands autres (les industries gazières et électriques, la RATP, soit environ 185 000 salariés sous statut), ou encore les clercs de notaires seront concernés par la fameuse clause du grand-père, déjà effective à la SNCF depuis 2020 (selon le « Pacte ferroviaire » de 2018). Et au plus vite : à partir du 1er septembre 2023, les nouvelles recrues seront affiliées au régime général de retraite si la loi passe. Une extinction à terme de ces régimes. Pour l’exécutif, L’existence de ces régimes spéciaux de retraite n’apparaît plus justifiée au regard des principes d’équité et d’universalité au cœur de notre modèle social. Une provocation pour FO : C’est une atteinte inadmissible au contrat social. Si les électriciens et les gaziers ont eu un statut calqué sur la fonction publique, ce n’est pas pour rien : ils assurent une mission de service public fondamentale, martèle Alain André, secrétaire général de la fédération FO-Énergie et Mines.

Touchés par le recul de l’âge

Et ce n’est pas tout. Chez EDF, Engie ou la RATP, les personnels actuels devront aussi travailler progressivement jusqu’à 64 ans. La mesure entrera en vigueur à partir de 2025. Exit donc la possibilité de partir plus tôt, entre 56 et 60 ans selon les régimes. Pour FO, cette casse des régimes spéciaux, après la réforme Woerth de 2010 qui a déjà rallongé de deux ans l’âge légal de départ à la retraite, notamment pour les catégories actives du secteur public et pour les régimes spéciaux, est inacceptable. Nous avons des contraintes de service public, des horaires décalés. Conduire des métros, c’est un métier pénible. Déjà, certains conducteurs partent à la retraite vers 57 ans. Les faire travailler plus longtemps ? Pour nous, c’est inadmissible !, s’emporte Laurent Djebali, secrétaire général de FO-RATP.

ARIANE DUPRÉ

 

À l’épreuve des chiffres, la dramaturgie budgétaire ne tient pas

À en croire le gouvernement, le système des retraites serait en grand péril et il faudrait agir, vite. Par son dernier rapport publié en septembre, le COR (Conseil d’orientation des retraites) n’est pas de cet avis et ne voit aucune urgence sur les retraites. Leurs dépenses ne dérapent pas a d’ailleurs répété le 19 janvier le président du COR devant la commission des finances de l’Assemblée. Le régime présente même un excédent (900 millions en 2021 et 3,2 milliards en 2022). Quant à un déficit à venir, le COR l’évalue autour de 10 à 12 milliards d’euros par an jusqu’en 2032. Dramatique ? Non. Pour rappel, en termes de dépenses, le système de retraite représente 340 milliards d’euros par an. Le PIB, soit la production nationale de richesse, se situe lui autour de 2500 milliards d’euros... Le COR estime encore que la part des dépenses pour les retraites dans le PIB serait stable jusqu’en 2027 (autour de 13,8% à 13,9%), puis augmenterait légèrement jusqu’en 2032 (entre 14,2% et 14,7%). Suivrait, jusqu’en 2070, une stabilisation, voire un recul (12,1% à 14,7%). Le gouvernement s’entête néanmoins : Avec ce projet [de réforme, NDLR], l’équilibre du système sera atteint en 2030. Et de vanter les économies que porte sa réforme. Le Haut conseil des finances publiques vient, lui, de pointer un coût net de 400 millions d’euros pour les comptes de la Sécu en 2023.

Pas de mise à contribution des entreprises 

Selon le gouvernement, la réforme apporte 17,7 milliards d’euros en 2030 en termes d’économies brutes générées par les évolutions des conditions de départ en retraite. En clair, par l’attaque des droits. Le déficit, estimé à 13,5 milliards d’euros, serait comblé et le surplus d’économies obtenues, 4,2 milliards d’euros, servirait à financer des mesures dites de justice (sur les carrières longues, la hausse du minimum de pension, ...) pour un total de 4,8 milliards d’euros. Il manquait donc 600 millions. Le gouvernement affiche sa solution : L’équilibre financier de la réforme passera par de la solidarité entre branches, et notamment entre la branche AT-MP et la branche vieillesse, et entre régimes. Le taux employeur pour les cotisations vieillesse est ainsi relevé de 0,1 point, tandis que le taux des cotisations AT-MP (branche excédentaire) est baissé d’autant. Autant dire une opération à effet neutre pour les entreprises. Pas question d’alourdir le  coût du travail, se justifie le gouvernement. Il ne dit mot sur les exonérations de cotisations sociales aux entreprises, lesquelles induisent cependant chaque année, en termes de recettes, un manque à gagner qui pour la Sécurité sociale se chiffre en milliards d’euros par an.  

VALÉRIE FORGERONT

 

Pénibilité : la réparation toujours minimisée

Alors que l’intensification du travail est partout constatée, la pénibilité est extrêmement mal prise en compte dans le projet de réforme de l’exécutif. Celui-ci parle d’ailleurs d’usure professionnelle, expression qui renvoie à l’état du salarié plutôt qu’à la nature du travail. Rien d’anodin : on se souviendra qu’en 2017, sitôt élu, Emmanuel Macron a amoindri la portée du compte pénibilité, issu de la réforme Touraine de 2014, en réduisant de dix à six les risques professionnels reconnus permettant aux salariés de partir en retraite anticipée, en formation ou à temps partiel. Depuis, avoir été exposé à des agents chimiques dangereux, avoir porté des charges lourdes, subi des vibrations mécaniques, encaissé des postures pénibles n’ouvre plus de droit à une retraite anticipée. Sauf à être reconnu atteint de maladie professionnelle. Il faut une meilleure prévention et un renforcement de la prise en compte de la pénibilité de certains métiers ou postes de travail, affirme l’exécutif. Il prévoit d’assouplir les conditions d’accès au compte professionnel de prévention (ex-compte pénibilité) mais de manière limitée.

Aucune automaticité des droits

En revanche, l’exécutif a exclu toute réintégration des quatre facteurs de risque retirés en 2017, décision alors dénoncée par FO. Il renvoie aux branches professionnelles le soin de conclure des accords pour identifier les métiers exposés à trois des quatre facteurs de risque retirés. Les agents chimiques dangereux ne sont pas concernés. Il n’y aura pas d’automaticité des droits, refusée par le patronat. Ces critères seront à la main des branches, et donc des entreprises. Les salariés exposés à une même situation de pénibilité ne seront pas traités, selon les employeurs, de la même manière, souligne Michel Beaugas, secrétaire confédéral. La mesure convient à la CPME et à l’U2P, qui peinent à recruter sur les métiers pénibles. En sus, un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle (1 milliard d’euros sur le quinquennat) sera créé pour financer, avec les employeurs, des actions de prévention et de reconversion. Côté réparation, la réforme prévoit un suivi médical renforcé de ces salariés exerçant dans des métiers identifiés comme exposés à la pénibilité, pour détecter les situations d’inaptitude permettant un départ anticipé à 62 ans. Mais ce sera une gageure alors que les médecins du travail sont moins de 5 000 ! Clairement, les départs anticipés ne sont pas l’objectif.

ELIE HIESSE
11 août 2023
pour l’InFO militante